La promotion de la consommation excessive d'alcool

931

Tee-shirts à imprimés bouteilles de bière, casquettes à slogan d’éméché, jeux à boire sponsorisés, accessoires pour mobiles, objets publicitaires en tout genre…

Préoccupé par l’augmentation très sensible de la consommation excessive d’alcool reconnue par les jeunes dans les sondages successifs organisés par l’Inpes depuis 10 ans, le gouvernement s’apprête à passer à l’action contre les présentations festives de la biture.

Un projet de décret

La France a, en effet, notifié à la Commission européenne un projet de décret pour en finir avec tous ces objets disponibles pour les plus jeunes, incitant à boire de l’alcool.

Le ministère des Affaires sociales et de la Santé français précise que l’objectif «est de combattre l’image festive et conviviale de l’ivresse, de protéger la jeunesse des incitations extérieures et de favoriser l’instauration d’une culture de la prudence au sein de cette population vulnérable». 

Derrière cette décision, les rapports des organismes de santé prouvant que les Français ont de plus en plus tendance à être ivres, et ce, de plus en plus jeunes.

Selon les chiffres de l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) datant de 2014, 10,5% des jeunes de 17 ans sont des consommateurs réguliers d’alcool, et leurs aînés ne sont pas beaucoup mieux lotis : 46% des 18-25 ans ont été ivres au moins une fois au cours de l’année 2014, 29% au moins trois fois.

consommation alcool

La proposition française vise «les jeux, vêtements, accessoires de mode, éléments décoratifs, ustensiles ou accessoires pour appareils électroniques dont le graphisme, la présentation, le visuel, le nom, le logo, la dénomination ou le slogan incitent directement à la consommation excessive d’alcool».

decapsuleur  heineken

Le projet de décret, comme tout texte qui entrave la libre circulation du marché, a été notifié le 18 avril à la Commission européenne. «Le Conseil d'État sera saisi de ce projet à l'issue du délai d'une durée de minimum 3 mois, prolongé à 6 mois si un Etat-membre estime que ce projet est contraire aux règles de l'Union européenne», précise le ministère. Si le décret est validé, toute personne y contrevenant risquera une peine d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende.

Affaire à suivre…

Diminuer le binge drinking

Ce projet d’interdiction de la diffusion auprès des mineurs d'objets publicitaires incitant à la consommation excessive d'alcool a pour objectif notamment d’endiguer la mode du «binge drinking» consistant à atteindre l'ivresse le plus rapidement possible.

Les objets vantant la consommation d'alcool rencontrent un vif succès auprès de «ce jeune public pour qui la fête ne va plus sans l'ivresse», explique le Dr Xavier Pommereau, psychiatre chef du pôle aquitain de l'adolescent au CHU de Bordeaux.

Des chercheurs du laboratoire SCALab ont lancé un programme de recherche en 2014 et les chiffres recueillis dépassent ceux publiés par l’INPES.

Selon l’enquête, 14% des 15-24 ans se sont adonnés à une séance d’alcoolisation massive au moins une fois dans l’année. Le phénomène est particulièrement générationnel et décroît avec l’âge (10 % des 25-34 ans et 6% des 33-44 ans).

La quantité de prise l’alcool et la fréquence des “bingers” se caractérisent par quelques tendances communes : une consommation hebdomadaire plus élevée que leurs pairs (3,7 verres en moyenne contre 1,43), une sensibilité accrue aux incitations, c’est-à-dire une tendance à plus facilement répondre oui à un verre qu’un pair leur propose (28% pour les bingers contre 4 % pour les autres), et cette tendance à boire le plus possible en soirée (13% contre 1 %).

Le binge drinking : un phénomène de société

«C'est un phénomène de société sans précédent! De jeunes patients se vantent d'avoir atteint un taux d'alcoolémie de trois grammes», explique le Dr Xavier Pommereau, auteur du livre Le goût du risque à l'adolescence.

Selon le psychiatre, cette course à l'ivresse serait le reflet du mal-être d'une jeunesse acculée par «la pression constante des adultes qui projettent sur eux leur anxiété». Les adolescents chercheraient dans l'alcool un moyen de se déconnecter d'une société «pessimiste» qui leur promet tous les jours un avenir plus sombre.

L’enquête SCALab révèle également que le contexte festif favorise cette consommation d’alcool massive : proposition des pairs, groupes mixtes (hommes et femmes), vouloir « être dans l’ambiance », « se détendre », « le bon goût de l’alcool » et la « recherche de l’ivresse ».

Encore plus préoccupant : seuls 3,2% des jeunes, y compris les bingers, considèrent leur consommation comme excessive.

La perception de l’alcoolisation est donc largement sous-estimée avec une absence de prise de conscience sur le niveau de consommation par les bingers et l’impression que leur consommation devrait être plus élevée pour être considérée comme du binge drinking.

Cette sous-évaluation n’est pas surprenante mais peut poser problème lorsqu’on chercher à sensibiliser ces publics par les messages de prévention.

Construire des messages de prévention efficaces

La grande majorité des campagnes de prévention sont faites sans analyse préalable des éléments qui les rendraient plus efficaces, ni évaluation de leur réception auprès de la population-cible. « Il existe beaucoup de programmes de prévention du “binge drinking”, note Marie-Charlotte Gandolphe, mais ils sont peu évalués et quand ils le sont, leurs résultats sont souvent contradictoires, probablement parce que la prévention est un processus dynamique dans lequel ce qui fonctionne à un moment peut ne plus fonctionner un ou deux ans plus tard. »

Il est donc important de développer des programmes de prévention basés sur le discours de la population cible elle-même en intégrant des messages sur la perception de la consommation et l’identité des bingers.

Il est indispensable d’utiliser des slogans, tons, vocabulaires et visuels qui sauront les toucher et d’avoir recourt à des messages à fort impact émotionnel évalués et affinés au fur et à mesure.

Plus qu’un arrêt total de ces pratiques, objectif difficilement atteignable, le but serait plutôt de favoriser une consommation maîtrisée d’alcool chez les jeunes adultes, afin d’en diminuer les risques. C’est-à-dire, une approche davantage centrée sur la responsabilisation des individus.

Sources :

Liberation

Lefigaro

inforum.univ-lille3

Menu

Paramètres